Maître Marc Olivier-Martin
Article Room Avocats
le 13 mai 2020
LA FORCE MAJEURE
La notion de la force majeure
Le nouvel article 1218 du Code civil, issu de l’ordonnance du 12 février 2016 définie la force majeure en matière contractuelle comme l’hypothèse dans laquelle « un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. »
Dans le cas présent, ce n’est pas tant l’épidémie qui est constitutive de force majeure en ce qu’elle n’est pas un évènement imprévisible (l’épidémie de grippe H1N1 n’a par exemple pas été qualifiée de force majeure), mais les circonstances exceptionnelles qui l’entourent (confinement imposé, fermeture des frontières etc).
Si les articles parus sur l’épidémie de coronavirus sont rares à ce stade, la doctrine reconnait que la notion de force majeure puisse jouer s’agissant des circonstances entourant l’épidémie de coronavirus. (L. Mayaux, « Coronavirus et assurance » La Semaine Juridique Edition Générale n° 11, 16 Mars 2020, 295).
La doctrine avait déjà indiqué avant la présente crise sanitaire que : « des restrictions gouvernementales limitant la libre circulation de personnes pourraient en revanche s’avérer un cas de force majeure à qualifier conventionnellement, surtout dans un contexte international d’exécution des prestations. On prendra pour exemple un consultant empêché, pour un tel motif, de venir réaliser sa prestation sur le site de son client et ne pouvant l’effectuer, par défaut, à distance.» (M. MARTIN « Les clauses de force majeure dans les contrats informatiques » Pratique par Mathieu MARTIN, Communication Commerce électronique n° 3, Mars 2017, prat. 4).
La qualification de force majeure nécessite néanmoins de caractériser que les circonstances rendent l’exécution du contrat impossible
La dernière condition requise par l’article 1218 du Code civil pour qualifier la force majeure, à savoir caractériser « des effets ne pouvant être évités par des mesures appropriés », devra être étudiée au cas par cas. En effet, l’évènement de force majeure doit être irrésistible lors de l’exécution du contrat. Cette irrésistibilité doit rendre l’exécution du contrat impossible et non pas seulement plus onéreuse ou plus compliquée.
Or, par exemple, pour certaines entreprises, la mise en place d’une nouvelle organisation du travail (par exemple télétravail) ou le recours à un autre circuit de distribution, sera certes plus compliqué, mais permettra d’éviter les effets du confinement et n’empêchera pas l’entreprise d’exécuter ses obligations. Dans ces hypothèses, la force majeure ne pourra être invoquée. En outre, les contractants dont l’obligation est simplement le paiement d’une somme d’argent en contrepartie d’une prestation qui continue d’être exercée pendant l’épidémie de coronavirus, ne peuvent prétendre qu’ils se trouvent empêchés de payer ladite somme, du fait des circonstances entourant l’épidémie.
Enfin, si un contrat a été conclu après le début de l’épidémie, les parties ne pourront vraisemblablement pas invoquer la force majeure pour se soustraire à leurs obligations, puisque qu’elles avaient connaissance de l’évènement.
Les effets de la force majeure
L’alinéa 2 de l’article 1218 précise les deux effets que peuvent avoir la force majeure :
- si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat ;
- si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1.
L’article 1351 du Code civil dispose que :
« L’impossibilité d’exécuter la prestation libère le débiteur à due concurrence lorsqu’elle procède d’un cas de force majeure et qu’elle est définitive, à moins qu’il n’ait convenu de s’en charger ou qu’il ait été préalablement mis en demeure. »
L’article 1351-1 du Code civil précise quant à lui que :
« Lorsque l’impossibilité d’exécuter résulte de la perte de la chose due, le débiteur mis en demeure est néanmoins libéré s’il prouve que la perte se serait pareillement produite si l’obligation avait été exécutée. Il est cependant tenu de céder à son créancier les droits et actions attachés à la chose. »
Par ailleurs, l’article 1231-1 du Code civil prévoit la force majeure est une cause d’exonération de l’obligation de réparer le dommage survenu en cas d’inexécution du contrat ou de l’obligation ou en cas de retard dans l’exécution.
Dans le cas où la force majeure est caractérisée, il ne pourra donc être demandé de dommages et intérêts au débiteur.
Les dispositions contractuelles afférentes à la force majeure
Il convient de préciser que la force majeure n’est pas une notion d’ordre public. Les clauses contractuelles aménageant la force majeure sont licites (Cass. com., 11 oct. 2005, n° 03-10.975).
Les parties peuvent ainsi :
- définir la notion de force majeure de façon plus stricte (imprévision totale de l’évènement plutôt que imprévision raisonnable telle que prévue par l’article 1218 du Code civil),
- énumérer la liste d’événements qu’elles considéreront comme des cas de force majeure,
- exclure totalement la force majeure de sorte que le débiteur devra exécuter ses obligations en toutes circonstances, l’obligation de résultat devenant alors une obligation de garantie, qui ne cède pas devant la force majeure,
- préciser les modalités et les délais que le débiteur doit respecter pour avertir son créancier de la mise en oeuvre de la force majeure.
Il est donc nécessaire d’analyser les dispositions des éventuelles clauses sur la force majeure stipulées dans les contrats dont l’exécution est compromise ou pose des difficultés.
L’IMPREVISION
La notion d’imprévision
Dans les hypothèses où la force majeure ne peut être caractérisée, la révision ou la résolution du contrat pourrait être demandée sur le fondement de l’imprévision, introduite en droit français par l’ordonnance du 10 février 2016 à l’article 1195 du Code civil.
L’article 1195 du Code civil dispose que :
« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.
En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. »
On précise que l’article L. 211-40-1 du Code monétaire et financier exclut la procédure d’imprévision pour les obligations qui résultent d’opérations sur les titres et les contrats financiers mentionnés aux I à III de l’article L. 211-1 dudit code.
La notion d’imprévision requiert la réunion de quatre conditions cumulatives :
- un changement de circonstances,
- ledit changement devant être imprévisible lors de la conclusion du contrat,
- ledit changement doit rendre l’exécution du contrat excessivement onéreuse pour une partie,
- le risque d’imprévision n’ait pas été accepté par la partie concernée.
Les circonstances résultant pour les entreprises de l’épidémie de coronavirus semblent répondre aux trois premières conditions listées ci-avant.
S’agissant de la dernière condition posée par l’article 1195 du Code civil, il est nécessaire d’analyser les dispositions des contrats dont l’exécution est compromise ou pose des difficultés pour apprécier si les parties ont exclu la possibilité de renégocier le contrat pour imprévision.
La procédure de l’imprévision
La procédure de l’imprécision consiste à :
- Dans un premier temps, pour la partie pour laquelle un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse alors qu’elle n’avait pas accepté d’en assumer le risque devra demander la renégociation du contrat à son cocontractant,
- Dans un second temps, si la renégociation est refusée ou si celle-ci échoue :
• les parties peuvent convenir de la résolution du contrat ou demander au juge de procéder à l’adaptation dudit contrat,
• à défaut d’accord dans un délai raisonnable, l’une des parties pourra saisir le juge d’une demande tendant à réviser ou à mettre fin au contrat.
Évidemment, dans le contexte actuel de suspension des audiences non essentielles, la procédure judiciaire de révision ou résiliation du contrat sera longue à mettre en place.
Il convient d’insister sur le fait que les deux parties doivent tenter de renégocier le contrat de bonne foi.
En effet, le cocontractant victime de l’imprévision peut agir contre son co-contractant sur le terrain de la responsabilité contractuelle pour manquement à l’obligation de renégocier découlant de l’exigence de bonne foi de l’article 1104 du Code civil, si ce dernier n’a pas tenté de renégocier le contrat de bonne foi.
Ainsi, la Cour de cassation a sanctionné une rupture de contrat contraire au devoir de loyauté, en jugeant que : « la cour d’appel, sans obliger la société à renégocier le protocole, a pu retenir que la loyauté imposait de négocier, si le protocole d’accord s’avérait difficilement réalisable, et de proposer des conditions acceptables » (Cass, 15 mars 2017, n°15-16406).
LE REGIME DES ASSURANCES
Dans un article de doctrine datant du 16 mars 2020 Luc Mayaux, professeur à l’université Jean Moulin (Lyon III), directeur de l’Institut des assurances de Lyon juge que la pandémie de coronavirus ne peut faire obstacle à l’obligation d’assurance des assureurs (L. Mayaux, « Coronavirus et assurance » La Semaine Juridique Edition Générale n° 11, 16 Mars 2020, 295).
En effet, l’exécution de l’obligation de payer une somme d’argent n’est pas rendue impossible par l’épidémie de coronavirus.
Toutefois, il relève que les cas dans lesquels l’assurance serait amenée à jouer du fait de l’épidémie de coronavirus paraissent pour le moment limités puisque l’origine épidémique de certaines situations (annulation de vols, annulation de manifestation, perte d’exploitation, etc) est rarement couverte par les polices.
Il est nécessaire d’étudier au cas par cas les polices d’assurance pour apprécier si l’épidémie peut être un événement couvert par la police.
L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a décidé d’ouvrir une enquête sur les contrats pertes d’exploitation qui sont au coeur d’un vif débat depuis le début de l’épidémie.
L’ACPR pourrait estimer que certains assureurs doivent passer des provisions pour honorer leurs engagements et informer les assurés de la possibilité d’être indemnisés pour leur pertes d’exploitation.
Notre cabinet reste activement mobilisé pour vous assister dans toutes problématiques en relation avec ces sujets. N’hésitez pas à nous contacter
Cette publication électronique n’a qu’une vocation d’information générale non exhaustive. Elle ne saurait constituer ou être interprétée comme un acte de conseil juridique du cabinet ROOM AVOCATS.