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Difficultés des entreprises et restructurations

Loyers commerciaux & urgence sanitaire

By Difficultés des entreprises et restructurations, Droit des assurances, Droit des sociétés
Maître Adeline Tison

Article Room Avocats

le vendredi 15 mai 2020

La loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 instaurant l’état d’urgence sanitaire permettant de faire face à l’épidémie de covid-19, promulguée ce 24 mars 2020 au JORF n°0072, a autorisé le gouvernement à prendre des mesures permettant de « reporter intégralement ou d’étaler les loyers, factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels et commerciaux. »

L’Ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 précisant ces mesures a été adoptée et est entrée en vigueur le 26 mars 2020.

Elles ont été complétées par 3 Décrets successifs :

  • Un décret n°2020-371 du 30 mars 2020 relatif au fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées.
  • Un décret n°2020-378 du 31 mars 2020 relatif au paiement des loyers et des factures susvisées afférents aux locaux professionnels.
  • Un décret n°2020-394 du 2 avril 2020 modifiant le Décret du 30 mars 2020 relatif au fonds de solidarité cidessus.

La loi promulgue l’état d’urgence sanitaire sur tout le territoire national, à compter du 12 mars 2020 et jusqu’à la date de cessation de l’urgence sanitaire, pour une durée de 2 mois pour l’instant.

Différents domaines de la vie publique et économique sont visés.

En matière de loyers commerciaux et professionnels, il est prévu, sous certaines conditions, de pouvoir reporter ou étaler ses loyers sans pouvoir les suspendre totalement.

Le recours à certaines notions de droit civil semble permettre la suspension totale mais cela dépendra, en réalité, de l’appréciation des juges que nous ne pouvons connaitre tant la situation est inédite.

Il reste donc toujours préférable de négocier avec son bailleur plutôt que de s’engager dans un contentieux à ce sujet.


LE REPORT OU L’ETALEMENT LEGAL DES LOYERS COMMERCIAUX ET PROFESSIONNELS

Principe

Dans son allocution télévisée du 16 mars 2020, le Président de la République annonçait que les loyers des (très) petites entreprises, impactées par l’épidémie de Covid-19, « devront être suspendus ».

Il ne s’agit en réalité pas d’une suspension.

En effet, l’article 7 de la loi d’urgence est ainsi rédigé :

« Afin de faire face aux conséquences (…) sont prises toutes mesures :

g) Permettant de reporter ou d’étaler le paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels, de renoncer aux pénalités financières et aux suspensions, interruptions ou réductions de fournitures susceptibles d’être appliquées en cas de non-paiement de ces factures, au bénéfice des très petites entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie ».

L’Ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020 précise que :

« Les personnes mentionnées à l’article 1er ne peuvent encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d’astreinte, d’exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d’activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurslocaux professionnels et commerciaux, nonobstant toute stipulation contractuelle et les dispositions des articles L. 622-14 et L.641-12 du code de commerce.

Les dispositions ci-dessus s’appliquent aux loyers et charges locatives dont l’échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai de deux mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré par l’article4 de la loi du 23 mars 2020 précitée ».

Ainsi, les loyers et charges dus avant le 12 mars 2020 ne sont pas concernés par ces mesures.

Cet article renvoi à l’article 1er de l’Ordonnance n°2020-317 du 25 mars 2020 qui annonce la création du Fonds de solidarité :

« Il est institué pour une durée de trois mois un fonds de solidarité ayant pour objet le versement d’aides financières aux personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique particulièrement touchées par lesconséquences économiques, financières et sociales de la propagation du covid-19 et des mesures prises pour en limiter lapropagation.

Sa durée d’intervention peut être prolongée par décret pour une durée d’au plus trois mois ».

Si l’on s’en réfère à la loi, n’est envisagés que le report et l’étalement du paiement des loyers et non une suppression totale de ces derniers. En réalité, ces dispositions n’ont pour objectif que la suspension des effets du non-paiement du loyer pendant la période précitée et non la suspension du paiement des loyers eux-mêmes.


Éligibilité et mode d’application

L’Ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020 est venue préciser les critères d’éligibilité au Fonds de solidarité.

Elle précise également que les mesures en matière de paiement des loyers ne bénéficieront qu’aux entreprises qui remplissent les10 conditions cumulatives suivantes :

  • Avoir débuté leur activité avant le 1er février 2020
  • Ne pas avoir déposé de DCP au 1er mars 2020
  • Avoir un effectif inférieur ou égal à 10 salariés
  • Avoir réalisé un CA du dernier exercice clos inférieur à 1 million d’€
  • Ou en cas d’exercice non clos intégralement dont le CA mensuel moyen avant le 29/2/2020 est inférieur à 333 €
  • Avoir réalisé un bénéfice imposable augmenté des sommes versées au dirigeant n’excède pas 60.000 € sur le dernier exercice OU au prorata pour les entreprises plus récentes
  • Ne pas avoir un dirigeant majoritaire titulaire, au 1er mars 2020, d’un contrat de travail à temps complet ou d’une pension de vieillesse, et qui n’a pas bénéficier en mars 2020 d’indemnités journalières de sécurité sociale d’un montant supérieur à 800 euros
  • Ne pas être contrôlé par une société commerciale
  • Si elle contrôle 1 ou plusieurs sociétés commerciales, la somme des salariés, CA et Bénéfices des entités liés doivent êtreconformes à ci-dessus
  • Ne pas avoir été, au 31/12/2019, en difficulté au sens de l’art. 2 du Règlement UE
  • Avoir :
    Soit fait l’objet d’une interdiction d’accueil du public entre le 1er et le 31 mars 2020
    Soit subi une perte de CA d’au moins 50% sur ce même mois par rapport à l’année précédente.

Le Décret n°2020-378 du 31 mars 2020 impose aux entreprises souhaitant bénéficier de ces mesures concernant les loyers etfactures de :

 

  • Produire une attestation sur l’honneur attestant du respect des conditions susvisées ;
  • Présenter l’accusé réception du dépôt de leur demande d’éligibilité au Fonds de solidarité.

Il faut donc nécessairement faire une demande d’aide au Fonds de solidarité.

 Les entreprises en état de cessation des paiements bénéficieront également des mêmes mesures selon des conditions spécifiques.

Quand bien même le preneur serait éligible à ces mesures, le bailleur n’a aucune obligation de suspendre le loyer ou d’accepter unreport.

Plusieurs Fédérations de bailleurs professionnels ont d’ores et déjà annoncé qu’ils pratiqueraient le report voire l’annulation des loyerspendant la période de confinement. Cependant, tous les bailleurs n’ont pas agréé à cette déclaration.

Le Gouvernement tente d’inciter les bailleurs à renoncer à leurs loyers et ce au travers du projet de loi de finances rectificative. Dans ce projet de loi qui a été adopté en première lecture, il a été prévu pour le bailleur des mesures fiscales.

Ainsi, les loyers auxquels le bailleur aurait renoncé ne constitueraient pas un revenu imposable et pourraient être déduit du résultat imposable dans les cas où ces loyers seraient imposés selon les règles des BIC.


LA SUSPENSION TOTALE DE VERSEMENT DES LOYERS COMMERCIAUX

L’insuffisance de la seule notion d’obligation de délivrance

 L’absence de possibilité d’exploitation peut-elle permettre la suppression des loyers commerciaux au titre de l’absence dedélivrance conforme du bailleur ?

Éventuellement sur le fondement de l’irrespect de l’obligation de délivrance du Bailleur mais l’incertitude demeure :

L’article 1719 du Code Civil dispose que :

« Le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière :

  1. De délivrer au preneur la chose louée et, s’il s’agit de son habitation principale, un logement décent. Lorsque des locaux loués à usage d’habitation sont impropres à cet usage, le bailleur ne peut se prévaloir de la nullité du bail ou de sa résiliation pour demander l’expulsion de l’occupant ;
  2. D’entretenir cette chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée ; 3° D’en faire jouirpaisiblement le preneur pendant la durée du bail ;
  3. D’assurer également la permanence et la qualité des plantations. »

Il a été jugé que le bailleur avait failli à son obligation de délivrance à la suite d’un arrêté du maire interdisant l’ouverture d’un localcommercial au public pour des raisons de sécurité.

La Cour de cassation a estimé que l’arrêté n’avait pas un caractère de force majeure car le bailleur aurait pu être informé de lasituation s’il avait contacté la mairie avant de donner son local à bail.

Il semble donc que le Bailleur doive avoir une responsabilité « personnelle » à la situation de fermeture pour pouvoir lui reprocherl’irrespect de l’obligation de délivrance.

Dans le cas du coronavirus, les interdictions faites par le gouvernement en raison de la pandémie ne pouvaient être anticipées par les bailleurs, elles ont donc un caractère de force majeure pour les baux signées avant le mois de mars 2020.

Cependant, la caractérisation de la force majeure n’enlève rien au fait que l’obligation de délivrance n’est pas remplie.

Concernant la caractérisation de la force majeure pour l’obligation de paiement du Preneur, la Cour d’appel de Bourges a estiméque :

« C’est à juste titre que les premiers juges ont considéré que l’épizootie a eu pour l’exploitation du fermier, sur le planéconomique, des conséquences irrésistibles expliquant le défaut de paiement ».

Ainsi, l’épidémie ayant affecté le bétail du fermier a été considérée comme un évènement de force majeure expliquant sonabsence de paiement. Ceci sur le fondement de l’exception d’inexécution.

Il n’est donc pas pertinent de considérer que l’obligation de délivrance soit le fondement adapté et unique pour tenter de suspendreles loyers.

 

La possible exception d’inexécution

Si on ajoute à l’obligation de délivrance le principe de l’exception d’inexécution découlant des articles 1219 et 1220 du CodeCivil, cela semble être un argument valable.

Ces articles disposent, en effet, que :

« Une partie peut refuser d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l’autre n’exécute pas la sienne et si cetteinexécution est suffisamment grave. »

Et

« Une partie peut suspendre l’exécution de son obligation dès lors qu’il est manifeste que son cocontractant ne s’exécutera pas à l’échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle. Cette suspension doit être notifiéedans les meilleurs délais. »

Ainsi, même si l’exécution du bailleur est empêchée pour des raisons de force majeure, il semble tout de même peut être possible d’appliquer l’exception d’inexécution à condition de respecter l’article 1220 qui veut que la suspension des paiements soit notifiéedans les meilleurs délais.

Là encore l’absence de jurisprudence et le caractère inédit de la situation nous incite à rester prudents.

Il est préférable de négocier avec son bailleur plutôt que d’entamer une procédure, à la suite d’une suspension des loyers, sauf s’iln’existe aucune autre issue.

La notion de la force majeure

 Il semble également, outre l’obligation de délivrance conforme, que l’on puisse invoquer la force majeure si elle n’est pas excluedu contrat de bail.

Cependant le Bailleur pourrait retourner au Preneur la même notion puisque la situation lui est imposée également.

Définition :

Le nouvel article 1218 du Code civil, définit la force majeure en matière contractuelle comme l’hypothèse dans laquelle :

« un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion ducontrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par ledébiteur. »

Dans le cas présent, ce n’est pas tant l’épidémie qui est constitutive de force majeure en ce qu’elle n’est pas un évènement imprévisible (l’épidémie de grippe H1N1 n’a par exemple pas été qualifiée de force majeure), mais les circonstances exceptionnelles qui l’entourent (confinement imposé, fermeture des frontières etc).

La doctrine reconnait que la notion de force majeure peut jouer s’agissant des circonstances entourant l’épidémie de coronavirus.(L. Mayaux, « Coronavirus et assurance » La Semaine Juridique Edition Générale n° 11, 16 Mars 2020, 295).

La doctrine avait déjà indiqué avant la présente crise sanitaire que :

« des restrictions gouvernementales limitant la libre circulation de personnes pourraient en revanche s’avérer un cas de forcemajeure à qualifier conventionnellement, surtout dans un contexte international d’exécution des prestations. On prendra pour exemple un consultant empêché, pour un tel motif, de venir réaliser sa prestation sur le site de son client et ne pouvant l’effectuer,par défaut, à distance

(M. MARTIN « Les clauses de force majeure dans les contrats informatiques » Pratique par Mathieu MARTIN, CommunicationCommerce électronique n° 3, Mars 2017, prat. 4).

Qualification

L’évènement de force majeure doit être irrésistible lors de l’exécution du contrat. Cette irrésistibilité doit rendre l’exécution ducontrat impossible et non pas seulement plus onéreuse ou plus compliquée.

En matière de commerce fermés, l’exécution est impossible.

Si les créanciers d’une prestation qui continue d’être exécutée pendant l’épidémie de coronavirus, dont l’obligation est simplementle paiement d’une somme d’argent, ne peuvent prétendre qu’ils se trouvent empêchés de payer ladite somme du fait del’épidémie.

En revanche, si la prestation de location du commerce est toujours exécutée, l’exercice de l’activité pour lequel le bail est loué estrendu impossible.

Il semble donc, sous réserve de la jurisprudence inexistante à ce jour, que le paiement du loyer pourrait valablement être suspendu sur le fondement de la force majeure, du fait de l’épidémie, sous l’angle combiné encore de l’obligation de délivrance et del’exercice nécessaire du commerce.

Mais les juges se détermineront très certainement au cas par cas.

Mise en œuvre :

Le Preneur pourrait alors :

  • Suspendre son exécution en cas d’empêchement temporaire ;
  • Ou également solliciter la résolution du contrat si l’empêchement met en péril définitivement l’existence de son activité.

L’empêchement deviendrait définitif du fait du péril de l’activité.

L’article 1231-1 du Code civil prévoit que la force majeure est une cause d’exonération de l’obligation de réparer le dommagesurvenu en cas d’inexécution du contrat ou de l’obligation ou en cas de retard dans l’exécution.

Dans le cas où la force majeure est caractérisée, il ne peut être sollicité auprès du Preneur la réparation du préjudice subi par lebailleur.

N’étant pas d’ordre public, la notion de force majeure peut faire l’objet d’un aménagement contractuel qu’il faut donc vérifier ausein du bail.

En matière de bail commercial, dans le cas d’un commerce fermé, si l’absence de paiement des loyers est expressément exclue encas de force majeure, est-il possible d’invoquer l’imprévision ?

Le non-paiement des loyers du fait de l’imprévision

En rappelant toujours l’obligation de délivrance du Bailleur, le Preneur pourrait aussi vraisemblablement invoquer l’imprévision poursolliciter la révision ou la résolution du bail.

L’article 1195 du Code civil dispose que :

« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.

En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défautd’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date etaux conditions qu’il fixe. »

 La notion d’imprévision requiert la réunion de quatre conditions cumulatives :

  1. Un changement de circonstances,
  2. Ce changement devant être imprévisible lors de la conclusion du contrat,
  3. Il doit rendre l’exécution du contrat excessivement onéreuse pour une partie,
  4. Que le risque d’imprévision n’ait pas été accepté par la partie concernée.

Ainsi, il convient d’étudier les clauses du bail concerné pour apprécier si les parties ont exclu cette possibilité de renégocier lecontrat pour imprévision.

La procédure de l’imprécision consiste à :

  • Dans un premier temps, le Preneur, devra demander la renégociation du contrat au Bailleur,
    Il est important de noter qu’en principe chaque partie « continue à exécuter ses obligations durant la renégociation » en cecompris donc le paiement des loyers…
  • Dans un second temps, si la renégociation est refusée ou si celle-ci échoue :
    • Les parties peuvent convenir de la résolution du contrat ou demander au juge de procéder à l’adaptation dudit bail,
    • À défaut d’accord dans un délai raisonnable, le Preneur pourra saisir le juge d’une demande tendant à réviser ou àmettre fin au contrat.

Les Bailleurs se sentiront très certainement dans l’obligation de négocier, non seulement du fait de la pression de l’Etat, mais également du fait des termes de l’article 1104 du Code civil qui rappelle l’exigence de bonne foi dans l’exécution des contrats etpermet d’engager la responsabilité contractuelle d’un cocontractant pour manquement à l’obligation de renégocier.

La Cour de cassation a sanctionné une rupture de contrat contraire au devoir de loyauté, en jugeant que :

« la cour d’appel, sans obliger la société à renégocier le protocole, a pu retenir que la loyauté imposait de négocier, si le protocole d’accord s’avérait difficilement réalisable, et de proposer des conditions acceptables » (Cass, 15 mars 2017, n°15-16406).


Le Bailleur n’étant, à proprement parler, pas responsable, ni de la pandémie, ni de la décision administrative de fermeture descommerces, ces notions de droit civil permettant d’opposer une suspension des loyers sont fragiles et dépendront de l’appréciation des Juges au regard de la situation inédite actuelle.

Il est donc préférable de négocier avec son bailleur plutôt que d’entrer en voie contentieuse à ce sujet. Le succès d’une telle actionne peut en effet être garanti.


LA CLAUSE RÉSOLUTOIRE

L’ordonnance n°2020-427 du 15 avril 2020 est venue modifiée deux éléments concernant le délai applicable aux clauses résolutoire.

Le deuxième alinéa de l’article 4 de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

« Si le débiteur n’a pas exécuté son obligation, la date à laquelle ces astreintes prennent cours et ces clauses produisent leurs effetsest reportée d’une durée, calculée après la fin de cette période, égale au temps écoulé entre, d’une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l’obligation est née et, d’autre part, la date à laquelle elle aurait dû être exécutée.

La date à laquelle ces astreintes prennent cours et ces clauses prennent effet, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation, autre que de sommes d’argent, dans un délai déterminé expirant après la période définie au I de l’article 1er, est reportée d’une durée égale au temps écoulé entre, d’une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l’obligation est née et, d’autre part, la fin de cette période. »

La première modification est liée à la suspension générale des délais.

L’ordonnance n°2020-306 ne prévoyait en effet pas de suspension du délai pour les obligations dont le terme intervenait à l’issu de la période protégée (Etat d’urgence sanitaire + un mois, soit le 23 juin à minuit). Ainsi une obligation ayant sont terme le 26 juin était exigible immédiatement alors qu’une obligation ayant son terme le 04 mars n’était exigible que le 24 juin.

L’ordonnance du 15 avril a donc modifié l’article 4, en inscrivant un report d’application des clauses résolutoires indépendamment de la date d’expiration du délai. La date du terme de l’obligation n’a donc plus d’importance dès lors qu’une partie du délaiécoulé l’a été pendant la période de suspension.

Ce sont donc l’ensemble des délais qui sont suspendus. 

La seconde modification est relative aux modalités de calcul de ce report. L’ordonnance a, en effet, modifié le délai de suspension qui auparavant était d’un mois après la période juridiquement protégée dans tous les cas.

Dorénavant, le délai reporté après la période protégé sera égal au temps écoulé entre :

  • Le début de la période d’urgence sanitaire si le délai avait déjà commencé à courir ou,
  • La date de naissance de l’obligation, si elle est postérieure au 12 mars 2020,

Et le terme prévu de l’obligation. Le report sera donc différent selon la date de chaque obligation.

Notre cabinet reste activement mobilisé pour vous assister dans toutes problématiques en relation avec ces sujets. N’hésitez pas à nous contacter 

Cette publication électronique n’a qu’une vocation d’information générale non exhaustive. Elle ne saurait constituer ou être interprétée comme un acte de conseil juridique du cabinet ROOM AVOCATS.

Les conséquences de l’épidémie de coronavirus sur les contrats commerciaux

By Difficultés des entreprises et restructurations, Droit des assurances, Droit des sociétés
Maître Alexandra Staritsky

Maître Marc Olivier-Martin

Article Room Avocats

le 13 mai 2020

LA FORCE MAJEURE

La notion de la force majeure

Le nouvel article 1218 du Code civil, issu de l’ordonnance du 12 février 2016 définie la force majeure en matière contractuelle comme l’hypothèse dans laquelle « un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. »

Dans le cas présent, ce n’est pas tant l’épidémie qui est constitutive de force majeure en ce qu’elle n’est pas un évènement imprévisible (l’épidémie de grippe H1N1 n’a par exemple pas été qualifiée de force majeure), mais les circonstances exceptionnelles qui l’entourent (confinement imposé, fermeture des frontières etc).

Si les articles parus sur l’épidémie de coronavirus sont rares à ce stade, la doctrine reconnait que la notion de force majeure puisse jouer s’agissant des circonstances entourant l’épidémie de coronavirus. (L. Mayaux, « Coronavirus et assurance » La Semaine Juridique Edition Générale n° 11, 16 Mars 2020, 295).

La doctrine avait déjà indiqué avant la présente crise sanitaire que : « des restrictions gouvernementales limitant la libre circulation de personnes pourraient en revanche s’avérer un cas de force majeure à qualifier conventionnellement, surtout dans un contexte international d’exécution des prestations. On prendra pour exemple un consultant empêché, pour un tel motif, de venir réaliser sa prestation sur le site de son client et ne pouvant l’effectuer, par défaut, à distance.» (M. MARTIN « Les clauses de force majeure dans les contrats informatiques » Pratique par Mathieu MARTIN, Communication Commerce électronique n° 3, Mars 2017, prat. 4).

La qualification de force majeure nécessite néanmoins de caractériser que les circonstances rendent l’exécution du contrat impossible

La dernière condition requise par l’article 1218 du Code civil pour qualifier la force majeure, à savoir caractériser « des effets ne pouvant être évités par des mesures appropriés », devra être étudiée au cas par cas. En effet, l’évènement de force majeure doit être irrésistible lors de l’exécution du contrat. Cette irrésistibilité doit rendre l’exécution du contrat impossible et non pas seulement plus onéreuse ou plus compliquée.

Or, par exemple, pour certaines entreprises, la mise en place d’une nouvelle organisation du travail (par exemple télétravail) ou le recours à un autre circuit de distribution, sera certes plus compliqué, mais permettra d’éviter les effets du confinement et n’empêchera pas l’entreprise d’exécuter ses obligations. Dans ces hypothèses, la force majeure ne pourra être invoquée. En outre, les contractants dont l’obligation est simplement le paiement d’une somme d’argent en contrepartie d’une prestation qui continue d’être exercée pendant l’épidémie de coronavirus, ne peuvent prétendre qu’ils se trouvent empêchés de payer ladite somme, du fait des circonstances entourant l’épidémie.

Enfin, si un contrat a été conclu après le début de l’épidémie, les parties ne pourront vraisemblablement pas invoquer la force majeure pour se soustraire à leurs obligations, puisque qu’elles avaient connaissance de l’évènement.

Les effets de la force majeure

L’alinéa 2 de l’article 1218 précise les deux effets que peuvent avoir la force majeure :

  • si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat ;
  • si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1.

L’article 1351 du Code civil dispose que :
« L’impossibilité d’exécuter la prestation libère le débiteur à due concurrence lorsqu’elle procède d’un cas de force majeure et qu’elle est définitive, à moins qu’il n’ait convenu de s’en charger ou qu’il ait été préalablement mis en demeure. »

L’article 1351-1 du Code civil précise quant à lui que :
« Lorsque l’impossibilité d’exécuter résulte de la perte de la chose due, le débiteur mis en demeure est néanmoins libéré s’il prouve que la perte se serait pareillement produite si l’obligation avait été exécutée. Il est cependant tenu de céder à son créancier les droits et actions attachés à la chose. »

Par ailleurs, l’article 1231-1 du Code civil prévoit la force majeure est une cause d’exonération de l’obligation de réparer le dommage survenu en cas d’inexécution du contrat ou de l’obligation ou en cas de retard dans l’exécution.

Dans le cas où la force majeure est caractérisée, il ne pourra donc être demandé de dommages et intérêts au débiteur.

Les dispositions contractuelles afférentes à la force majeure

Il convient de préciser que la force majeure n’est pas une notion d’ordre public. Les clauses contractuelles aménageant la force majeure sont licites (Cass. com., 11 oct. 2005, n° 03-10.975).

Les parties peuvent ainsi :

  • définir la notion de force majeure de façon plus stricte (imprévision totale de l’évènement plutôt que imprévision raisonnable telle que prévue par l’article 1218 du Code civil),
  • énumérer la liste d’événements qu’elles considéreront comme des cas de force majeure,
  • exclure totalement la force majeure de sorte que le débiteur devra exécuter ses obligations en toutes circonstances, l’obligation de résultat devenant alors une obligation de garantie, qui ne cède pas devant la force majeure,
  • préciser les modalités et les délais que le débiteur doit respecter pour avertir son créancier de la mise en oeuvre de la force majeure.

Il est donc nécessaire d’analyser les dispositions des éventuelles clauses sur la force majeure stipulées dans les contrats dont l’exécution est compromise ou pose des difficultés.


L’IMPREVISION

La notion d’imprévision

Dans les hypothèses où la force majeure ne peut être caractérisée, la révision ou la résolution du contrat pourrait être demandée sur le fondement de l’imprévision, introduite en droit français par l’ordonnance du 10 février 2016 à l’article 1195 du Code civil.

L’article 1195 du Code civil dispose que :
« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.

En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. »

On précise que l’article L. 211-40-1 du Code monétaire et financier exclut la procédure d’imprévision pour les obligations qui résultent d’opérations sur les titres et les contrats financiers mentionnés aux I à III de l’article L. 211-1 dudit code.

La notion d’imprévision requiert la réunion de quatre conditions cumulatives :

  1. un changement de circonstances,
  2. ledit changement devant être imprévisible lors de la conclusion du contrat,
  3. ledit changement doit rendre l’exécution du contrat excessivement onéreuse pour une partie,
  4. le risque d’imprévision n’ait pas été accepté par la partie concernée.

Les circonstances résultant pour les entreprises de l’épidémie de coronavirus semblent répondre aux trois premières conditions listées ci-avant.

S’agissant de la dernière condition posée par l’article 1195 du Code civil, il est nécessaire d’analyser les dispositions des contrats dont l’exécution est compromise ou pose des difficultés pour apprécier si les parties ont exclu la possibilité de renégocier le contrat pour imprévision.

La procédure de l’imprévision

La procédure de l’imprécision consiste à :

  • Dans un premier temps, pour la partie pour laquelle un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse alors qu’elle n’avait pas accepté d’en assumer le risque devra demander la renégociation du contrat à son cocontractant,
  • Dans un second temps, si la renégociation est refusée ou si celle-ci échoue :
    • les parties peuvent convenir de la résolution du contrat ou demander au juge de procéder à l’adaptation dudit contrat,
    • à défaut d’accord dans un délai raisonnable, l’une des parties pourra saisir le juge d’une demande tendant à réviser ou à mettre fin au contrat.

Évidemment, dans le contexte actuel de suspension des audiences non essentielles, la procédure judiciaire de révision ou résiliation du contrat sera longue à mettre en place.

Il convient d’insister sur le fait que les deux parties doivent tenter de renégocier le contrat de bonne foi.

En effet, le cocontractant victime de l’imprévision peut agir contre son co-contractant sur le terrain de la responsabilité contractuelle pour manquement à l’obligation de renégocier découlant de l’exigence de bonne foi de l’article 1104 du Code civil, si ce dernier n’a pas tenté de renégocier le contrat de bonne foi.

Ainsi, la Cour de cassation a sanctionné une rupture de contrat contraire au devoir de loyauté, en jugeant que : « la cour d’appel, sans obliger la société à renégocier le protocole, a pu retenir que la loyauté imposait de négocier, si le protocole d’accord s’avérait difficilement réalisable, et de proposer des conditions acceptables » (Cass, 15 mars 2017, n°15-16406).


LE REGIME DES ASSURANCES

Dans un article de doctrine datant du 16 mars 2020 Luc Mayaux, professeur à l’université Jean Moulin (Lyon III), directeur de l’Institut des assurances de Lyon juge que la pandémie de coronavirus ne peut faire obstacle à l’obligation d’assurance des assureurs (L. Mayaux, « Coronavirus et assurance » La Semaine Juridique Edition Générale n° 11, 16 Mars 2020, 295).

En effet, l’exécution de l’obligation de payer une somme d’argent n’est pas rendue impossible par l’épidémie de coronavirus.

Toutefois, il relève que les cas dans lesquels l’assurance serait amenée à jouer du fait de l’épidémie de coronavirus paraissent pour le moment limités puisque l’origine épidémique de certaines situations (annulation de vols, annulation de manifestation, perte d’exploitation, etc) est rarement couverte par les polices.

Il est nécessaire d’étudier au cas par cas les polices d’assurance pour apprécier si l’épidémie peut être un événement couvert par la police.

L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a décidé d’ouvrir une enquête sur les contrats pertes d’exploitation qui sont au coeur d’un vif débat depuis le début de l’épidémie.

L’ACPR pourrait estimer que certains assureurs doivent passer des provisions pour honorer leurs engagements et informer les assurés de la possibilité d’être indemnisés pour leur pertes d’exploitation.

Notre cabinet reste activement mobilisé pour vous assister dans toutes problématiques en relation avec ces sujets. N’hésitez pas à nous contacter 

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